L’année scolaire tire à sa fin. La motivation aussi. Depuis belle lurette pour certains. Un peu partout, on voit apparaître toutes sortes de messages et de subterfuges qui se donnent pour mission d’encourager les enfants à persévérer, à toffer jusqu’au 21 juin.
On leur dit, parfois en accompagnant le message de motivation d’une photo d’enfant désespéré affalé sur son bureau de travail, de faire un dernier effort pour passer au travers des trop nombreux examens qu’ils doivent se taper pour tenter de réconforter les adultes, y compris les parents, qui ont besoin de se rassurer. Qui croient qu’être capable de répondre à des questions d’examen a quelque chose à voir avec la réussite dans la vie. Qui confondent mémorisation et compréhension. Qui confondent obéissance avec autonomie. Qui confondent les notes avec le potentiel. Qui sont obligés de faire subir les examens du Ministère devenus trop longs et trop lourds même si les spécialistes et les enseignantes sonnent tous l’alarme (que le Ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur est le seul à ne pas entendre d’ailleurs).
On répète aux enfants qu’ils sont capables, qu’ils sont bons, qu’ils sont beaux, qu’ils sont fins. Qu’ils sont importants aussi quand ils pensent au suicide. Qu’ils réussiront dans la vie s’ils sont capables de passer au travers de la chaîne de montage en répondant aux attentes d’une époque révolue.
Oui! Le monde a bien changé depuis 1900. Les voitures ont changé. Les moyens de communication ont changé. Les villes et les villages ont changé. L’accès au savoir a changé. Notre alimentation a changé. Nos croyances ont changé. Nos références culturelles ont changé. Nos politiques ont changé. Nous avons changé. Nos enfants ont changé. Pouvons-nous en dire autant de nos écoles?
La motivation, une publicité pour vendre l’abnégation de soi
On affiche ici et là des pictogrammes et des slogans pour convaincre les enfants qu’ils sont capables.
Qu’ils doivent persévérer.
On tente d’acheter leur participation avec des offrandes, des bonbons, des babioles.
Motivation oblige.
Le système récompense/punition inversée aussi.
Cela ressemble à un genre de publicité pro-abnégation de soi.
Une déconnexion programmée avec sa réalité intérieure.
Seulement, si les enfants n’étaient pas coupés de leurs aspirations dès leur plus jeune âge, si on les laissait être, si on les laissait faire et prendre des initiatives, ils n’auraient pas à se faire répéter machinalement qu’ils sont capables, qu’ils sont bons, qu’ils sont importants, qu’ils sont fins et qu’ils sont persévérants.
Ils le seraient.
Et ils le sauraient.
Ces devises qui sonnent faux
Toutes ces devises qui sonnent faux ne servent-elles pas à tenter de nous faire croire que nos enfants arriveront un jour à quelque chose à force de ne pas être fidèles à eux-mêmes? Et il y a un nette différence entre encourager quelqu’un à aller au bout de ses rêves et encourager quelqu’un à aller au bout des contraintes qu’on lui impose. Je ne suis pas contre le fait de soutenir. Je suis contre l’idée de faire croire aux enfants que leur mal-être est nécessaire à leur réussite.
Je trouve sournois toutes ces devises qui prônent qu’ils sont capables (quand ce qu’ils font cadre avec ce qui est prévu).
Qu’ils sont bons (quand ils répondent à nos attentes).
Qu’ils sont beaux (quand ils sont tranquilles).
Qu’ils sont importants (quand ils sont obéissants).
Qu’ils sont persévérants.
Pour ça oui!
Ils le sont!
Mais pas tous.
Seulement 64% des enfants du Québec finissent par obtenir leur diplôme d’étude secondaire dans les temps prévus.
Les autres n’en peuvent plus d’être autant déconnectés de leurs intérêts.
De leurs passions.
De leurs ressentis.
Fais ce qu’on te demande, pas ce que ton corps et tout ton être réclament
Tu vomis le matin de l’examen parce que ça ne fait pas de sens pour toi d’être ainsi évalué et que tout ton corps te le dit?
Tu le feras quand même ton examen. Tu vas persévérer. Parce que la vie, c’est ça.
Tu as mal au ventre tous les matins de semaine parce que l’enfermement te rend anxieux et que tu vis de l’intimidation?
Tu iras quand même passer toute la journée dans un milieu qui ne te rend pas heureux. Tu vas persévérer. Parce que la vie, c’est ça.
Tu te sens poche parce qu’on t’oblige à apprendre d’une façon qui n’est pas la tienne et que cela ne rend pas justice à tes talents, que tu as pourtant, mais qui ne sont jamais honorés? Tu es manuel? Tu es actif? Tu es autodidacte?
Tu continueras quand même à subir des méthodes qui ne te conviennent pas mais qui sont imposées pour simplifier l’éducation des masses. Tu vas persévérer. Parce la vie, c’est ça.
Tu passes le plus de temps possible à rêvasser d’un autre monde pendant les heures de classe parce que ça ne t’interpelle pas du tout ce qui s’y dit même si ton enseignante s’épuise à essayer de t’intéresser?
Tu hériteras d’un trouble de l’attention et tu apprendras à te définir en fonction de ce lègue. Est-ce vraiment ça la vie?
Et là j’entends déjà certains dire qu’il faut préparer les enfants pour la vraie vie, conséquemment, il faut les habituer tôt à une vie qui offre peu de choix. Est-ce bien là le sens de la vie?
Oui! Il y a bien des enfants à qui cela convient de suivre ce qui est prescrit sans réclamer plus de latitude.
Mais c’est loin d’être la majorité.
Si cela convenait à autant d’enfants, il n’y aurait pas de campagnes de motivation, pas de bonbons, pas de manipulation.
J’ai jamais vu ça moi quelqu’un qui a besoin d’affiches et de slogans pour le motiver à aller voir un film qui l’intéresse.
J’ai jamais vu quelqu’un avoir besoin de se faire dire «t’es capable» pour le motiver à partir en vacance.
J’ai jamais vu quelqu’un avoir besoin de se faire dire «t’es bon» pour le motiver à lire un livre qui le passionne.
J’ai jamais vu ça quelqu’un avoir besoin d’une banderole pour le motiver à sortir pour s’amuser avec des amis.
J’ai jamais vu un jeune avoir besoin de se faire dire qu’il est important pour le motiver à raccrocher à son jeu vidéo.
Le fait est que s’il faut faire autant de publicité pour tenter de motiver nos jeunes, c’est que ce qu’on veut leur imposer ne leur convient tout simplement pas.
Alors qu’on pourrait s’y prendre autrement pour de bien meilleurs résultat.
Le prix de tout cela est pourtant élevé.
Les enfants vont mal.
Les enseignantes vont mal.
Les adultes vont mal.
Force est de constater qu’on impose des façons de faire qui ne conviennent plus au monde dans lequel on vit.
Et que tout le système est devenu trop lourd.
Et ce n’est pas parce que les enseignantes manquent d’idées.
Elles en ont.
Encore faudrait-il leur laisser la souplesse et les ressources pour mener à bien des projets novateurs.
Encore faudrait-il les consulter aussi.
La révélation
Comment en sommes-nous arrivés à faire des campagnes de publicité pro-abnégation de soi dans les écoles, les médias et dans l’espace publique?
Je me la pose cette question depuis longtemps.
Et cette semaine… Paf! Je lis ceci:
En revenant chez moi, je pense à tous ces enfants et adolescents qui sont étiquetés comme ayant un trouble mental, alors qu’ensuite, nombre d’entre eux sont médicamentés pour favoriser l’adaptation à une éducation ou des structures qui ne répondent pas nécessairement à leurs besoins.
Dans une entrevue accordée à Fabienne Papin dans L’actualité médicale en 2013, un pédiatre américain expliquait ceci: « Ce n’est pas comme si j’avais vraiment le choix. En tant que société, nous avons décidé qu’il coûtait trop cher de modifier l’environnement de l’enfant. Donc, nous devons modifier ce dernier. » Extrait tiré de: Et si on les laissait vivre?
Modifier l’enfant au lieu de modifier l’environnement de l’enfant
Voilà!
C’est dit!
Et presque toute la société embraque dans cette hérésie.
Au détriment de l’enfant.
Et de l’adulte qu’il devient.
Et des adultes que nous sommes aujourd’hui.
Choisir autre chose
Ah! Nous sommes biens quelques milliers de familles à avoir trouvé la motivation de dire: Non! C’est assez! Je veux que le rythme de mon enfant soit respecté. Qu’il ne souffre plus du manque de ressources du milieu scolaire. Je veux que mon enfant apprenne avec enthousiasme. Qu’il se connaisse. Qu’il soit capable de se respecter pour savoir respecter aussi les autres. Qu’il mette des mots sur ses maux au lieu d’en faire une maladie ou un trouble. Qu’il suive le chemin qui est le sien. Qu’il vibre quand il lit et quand il fait. Qu’il s’exprime de toutes sortes de façons qui ne sont pas valorisées dans LE programme.
Nous sommes jugées quotidiennement parce qu’on choisit justement autre chose qu’un système qui étouffe l’enfance à grand coup de surmenage, d’examens inutiles, d’épuisement, de pénuries, de manque de ressources, de cohérence et d’inadaptation au monde actuel. Plus de la moitié des familles éducatrices ont essayé le système scolaire avant de choisir un mode de vie mieux adapté à la santé, au bonheur et à la réussite de leurs enfants.
Et comment sont traitées ces familles éducatrices par le Ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur actuel?
Avec mépris.
Avec amateurisme.
Avec de faux prétextes.
Quand un Ministre de l’Éducation est incapable d’écouter les spécialistes de l’éducation.
Quand un Ministre de l’Éducation est incapable de consulter les acteurs du milieu tout en étant capable d’aller voir aux USA et en Ontario comment se passent les choses dans des contextes très différents du nôtre qu’il ne veut pas voir.
Quand un Ministre de l’Éducation est incapable de respecter les recommandations du Protecteur du citoyen qui demande de favoriser la souplesse plutôt que la contrainte qu’il tient à imposer avec rigidité.
Quand un Ministre de l’Éducation est incapable de respecter les recommandations du Conseil supérieur de l’éducation.
Quand un Ministre de l’Éducation est incapable de trouver une seule étude pour appuyer ses idées rigides, qu’il insiste pour les faire subir quand même à nos enfants tout en affirmant se fier sur sa Grande Connaissance uniquement.
Quand un Ministre de l’Éducation est incapable de trouver la motivation de connaître les enfants qu’il veut éteindre.
Quand un Ministre de l’Éducation est incapable de respecter les Droits de l’humain, dont le droit des parents de choisir le type d’éducation le mieux adapté à leurs enfant. Qu’il veut bien faire confiance aux parents quand ils doivent choisir entre un CPE et une maternelle 4 ans mais pas quand ils veulent choisir le programme éducatif de leur choix, ni les méthodes d’évaluation les mieux appropriées à l’expérience éducative vécues par leurs enfants.
Quand un Ministre de l’Éducation est incapable de s’imaginer qu’un enfant peut apprendre autrement que sous la contrainte.
J’appelle ça consentir au décrochage.
Consentir à la détresse de l’enfant. Du parent. De l’enseignante. D’une société entière.
N’attendons surtout pas la bonne volonté du gouvernement actuel.
Elle risque de ne jamais venir.
Occupé qu’il est à déployer l’inutile.
Alors!
Qu’attendons-nous pour imaginer mieux pour nos enfants?
Qu’attendons-nous pour laisser nos enfants vivre?
Pour nous mobiliser?
Sommes-nous encore capables d’imaginer autre chose qu’un système rapiécé?
Allez! Un peu de motivation!
Persévérance!
On est capables!
On peut y arriver!
Y arrivez-vous maintenant?
Références pour aller plus loin:
Lettre de la Protectrice du citoyen adressée à Jean-François Roberge.
Moins d’examens, moins d’anxiété, plus de réussite scolaires?
Rapport du Protecteur du citoyen sur la scolarisation à la maison.
L’éducation à domicile au Québec.
Décrochage scolaire au Québec.
École obligatoire jusqu’à 18 ans: tous contre Legault.
Diplomation au secondaire: l’Ontario inspire le Québec.
Des élèves autistes isolés dans des placards en raison de la surpopulation à la CSDM.
Déploiement des maternelles 4 ans: les fonctionnaires de la Famille tenus à l’écart.
Maternelle 4 ans: Après New York, le ministre Roberge se rend en Ontario.