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Le nouveau Règlement sur l’enseignement à la maison : un obstacle à l’accessibilité à l’éducation pour plusieurs enfants québécois

Le nouveau Règlement sur l’enseignement à domicile a récemment été mentionné dans les articles sur le procès opposant Yochonon Lowen et Clara Wasserstein au gouvernement du Québec, accusant celui-ci de ne pas avoir fait respecter la Loi sur l’instruction publique dans leur communauté ultra-orthodoxe. C’est cette poursuite qui avait pressé le gouvernement libéral, en 2017, à modifier la Loi sur l’instruction publique et à déposer, en 2018, le Règlement sur l’enseignement à la maison ; catégorisant maintenant les enfants qui fréquentent les écoles religieuses privées illégales comme étant inscrits à l’enseignement à la maison.

 

En 2019, la modification de ce nouveau règlement fut parmi les tout premiers projets du ministre de l’Éducation Jean-François Roberge et j’aimerais vous exposer comment ces modifications nuisent à l’accessibilité à l’éducation pour quelques milliers de jeunes du Québec. J’aborderai le cas des enfants à besoins particuliers, car ils sont nombreux à opter pour ce type d’éducation, l’impact de l’imposition des épreuves ministérielles et l’entrave qu’ont ces nouveautés sur le droit des parents de choisir le genre d’éducation souhaité pour leurs enfants, comme prévu par la Déclaration universelle des droits de l’homme.

 

Tout d’abord, vous ne serez probablement pas surpris si j’ose dire que l’école n’est pas toujours adaptée à l’élève handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (ÉHDAA) ; les cris du cœur des parents pleuvent sur le sujet. L’école manque trop souvent de ressource pour accompagner ces enfants et plusieurs familles choisissent alors un retrait de l’école pour pouvoir offrir, à la maison, une éducation plus adaptée. Cette population représente d’ailleurs plus des deux tiers des familles membres de l’Association québécoise pour l’éducation à domicile. Structure rigide, anxiété de performance, rythme trop rapide ou trop lent ; les raisons de ce choix sont variées et l’imposition du Programme de formation de l’école québécoise fait suivre ces violences symboliques de l’école jusque dans les foyers de ces enfants qui ont besoin de quelque chose de différent.

 

Avant de continuer, je sens que je devrais expliquer ce qu’est une violence symbolique. La violence symbolique est un concept du sociologue Pierre Bourdieu que je peux décrire brièvement en disant que l’école créée des inégalités en imposant un arbitraire culturel unique et quiconque ne rentre pas dans le moule subit donc une violence, non pas physique, mais symbolique. Le nouveau Règlement sur l’enseignement à la maison vient donc éliminer la solution qu’avaient les parents d’offrir un milieu éducatif DIFFÉRENT et mieux adapté à leurs enfants.

 

Ensuite, j’aimerais vous parler plus spécifiquement des épreuves ministérielles ayant été ajoutées aux évaluations déjà prévues par le Règlement sur l’enseignement à la maison. Parce que oui, des évaluations étaient déjà prévues, mais ça ne semblait pas suffisant. L’ajout des épreuves ministérielles vient ajouter un obstacle supplémentaire (une violence symbolique supplémentaire!) aux élèves de profil ÉHDAA, mais peut aussi apporter une injustice à l’ensemble des enfants éduqués à la maison. Par exemple, de par le fait que les notes aux examens ministériels vaudront pour 100 % de l’année scolaire pour cette matière. C’est beaucoup de pression, surtout quand on sait que le Conseil Supérieur de l’Éducation a déjà écrit, entre autres, que les notes contribuent à la reproduction des inégalités sociales et qu’elles « ne servent pas adéquatement les finalités de l’évaluation ».

 

Autre injustice : dans certaines écoles du Québec, les enseignants commencent dès la rentrée scolaire à préparer leurs élèves à la passation de l’examen ministériel de fin d’année… parce qu’ils ont l’expérience des années précédentes pour le faire. On pourrait se questionner sur l’importance que donnent ces enseignants à l’évaluation finale et à l’anxiété que cela peut apporter à leurs élèves, mais ce qui nous intéresse surtout, c’est le choix devant lequel se retrouvent les parents qui choisissent l’éducation à domicile : accepter le fait que leurs enfants seront moins bien préparés pour les évaluations ou inscrire leurs enfants à l’école pour qu’ils aient une chance égale. Le nouveau Règlement sur l’enseignement à la maison vient, dans ce cas-ci, rajouter des inégalités en forçant des outils d’évaluation créés et adaptés pour les écoles aux familles qui pensaient pouvoir choisir « autre chose ».

 

Finalement, j’aimerais rappeler que, comme prévu par la Déclaration universelle des droits de l’homme, les parents ont le droit fondamental de choisir le genre d’éducation qu’ils souhaitent offrir à leurs enfants. Dans le passé, certains suivaient le programme français ou la pédagogie Montessori, d’autres le programme belge ou un mélange de plusieurs programmes, selon les besoins de leurs enfants. Les changements apportés au Règlement sur l’enseignement à la maison viennent enlever aux parents québécois ce droit d’opter pour une éducation différente, étant donné qu’ils doivent maintenant calquer le modèle de l’école québécoise à la maison. Le gouvernement du Québec, au lieu d’imposer son programme, devrait plutôt voir dans le nombre grandissant d’enfants retirés de l’école un message de la part des parents: « l’école publique n’est pas la meilleure solution pour tous, changeons les choses ! » Au lieu d’y comprendre ce message et de prendre des actions positives pour l’ensemble des jeunes, la décision de faire taire ces actions individuelles bien parlantes en mettant des barrières à ceux qui rêvaient de quelque chose de plus adapté à leurs enfants a été prise. Le ministre Jean-François Roberge lance donc le message que seul le Programme de formation de l’école québécoise permet d’offrir une bonne éducation. Point final.

 

Bien entendu, on peut, pour en revenir au procès que je mentionnais dans les premières lignes de cette lettre, dire que le gouvernement a une certaine responsabilité envers les enfants de son territoire et qu’il doit s’assurer une bonne éducation pour ceux-ci. Je suis entièrement d’accord avec ça ! Mais est-ce qu’une bonne éducation est une éducation identique pour chaque enfant ? Avons-nous assez confiance envers le Programme de formation de l’école québécoise pour dire qu’il remporte haut la main contre tous les autres programmes au monde ? Puis, est-ce que de contourner le problème des écoles religieuses illégales en inscrivant les enfants qui les fréquentent comme pratiquant l’éducation à domicile était vraiment LA solution ? Pas selon le principal intéressé, Yochonon Lowen:

« Comment voulez-vous qu’une mère qui a dix enfants trouve le temps et l’énergie de faire l’école à la maison, quand les enfants sont déjà fatigués de leur journée à la yeshiva ? »

 

Est-ce que ce changement en valait vraiment la peine? Après tout, il vient nuire à l’accessibilité à une éducation adaptée pour quelques milliers de jeunes Québécois pour acheter la paix et éviter de sévir contre ces lieux…

 

Pour moi, il s’agit de deux situations bien différentes qu’on a mises dans un même panier parce qu’elles touchent des minorités, parce qu’elles ne sont pas populaires dans l’opinion publique et parce qu’elles offraient une solution « facile » pour que le gouvernement puisse régler une situation délicate.

Par Marie

Maman d'abord et avant tout, j'écris et je travaille de la maison tout en m'occupant de l'éducation de mes enfants. Je chemine également, à temps partiel, dans des études supérieures dans le domaine de l'éducation.