L’école est finie. Les récréations assis isolé dans un carré dessiné sur l’asphalte aussi.
Je sais. Ce n’était pas ainsi partout. Fort heureusement ! Tellement qu’en voyant des vidéos et des photos aux nouvelles et dans les médias sociaux, je n’y croyais pas vraiment. Je me disais que cette façon de faire profiter aux enfants de leur pause de ressourcement et de socialisation devait être une exception. Jusqu’à ce que je me promène plus loin que mon village.
Et là. Je n’en croyais pas mes yeux. Ils étaient bien là les carrés sur l’asphalte avec un enfant au milieu de chaque case, assis au centre, trop loin des autres pour ne serait-ce que jaser un brin.
Vous dire comment je me suis sentie.
Je ne saurais le décrire.
Toujours est-il que je n’ai pas pris de photos.
Je trouvais ça indécent.
De toute façon, je vais avoir l’image imprimée toute ma vie en mémoire.
Et là, je ne me demande pas si ces mesures étaient nécessaires ou non. Je laisse ça aux scientifiques qui nous diront tout et son contraire dans l’espace temps.
Ce qui me turlupine, c’est la question suivante :
Quels seront les conséquences, à moyen et à long terme, de ces mesures de distanciation ?
Je pense aux masques, aux visières, aux deux mètres de distance, au un mètre et demi dans certains cas, à la bulle dans d’autres cas, à la difficulté d’avoir des rapports humains chaleureux, à l’impossibilité de partager avec les autres, à la désinfection perpétuelle des mains et des surfaces, à la peur, aux lignes, aux flèches et aux pastilles sur le sol et à plein d’autres aspects menacés qui font que c’est agréable de côtoyer des humains et de sortir de chez soi.
Je sais que bien des profs et des éducatrices ont été souples sur les mesures de distanciation à l’école et à la garderie. Avec raison. Beaucoup voyaient ce qu’elles ont encouragé et construit au fil des mois et des années entre les enfants s’effriter.
On a beau dire que les enfants s’adaptent vite. Qu’ils sont résilients. Que ça va bien aller.
Je n’en suis pas si certaine et je vois déjà certains défis poindre à l’horizon. En voici quelques-uns que j’ai assaisonnés avec de sages extraits de Pour une enfance heureuse : Repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau du Dr Catherine Gueguen.
-La reconnaissances des émotions et des intentions
Le port du masque ne permet évidemment pas d’apprécier les expressions faciales, pourtant si importantes dans nos interrelations. À plus forte raison chez nos petits, encore en apprentissage dans le décodage des émotions et des intentions.
Il existe dans le cerveau humain des neurones miroirs servant non seulement à imiter les actions, mais aussi déchiffrer les intentions et les émotions d’autrui. Ces neurones perçoivent les gestes qu’une personne s’apprête à faire, mais également ses sentiments, ses intentions. Ils nous préparent à imiter son geste et à ressentir ce qu’elle ressent.
Dr Catherine Gueguen
Pour une enfance heureuse, page 208
-Le développement de l’empathie
Si déchiffrer les sentiments et les intentions nous prépare à ressentir ce que ressent l’autre, on peut facilement imaginer que le développement de l’empathie en prendra un coup si l’enfant est privé à long terme de la possibilité d’accéder à toutes les variations des expressions faciales qui permettent le décodage qui précède le ressenti.
Quand nous avons le sentiment très agréable d’être en « communion », en parfaite résonance, en synchronie avec l’autre, de partager réellement l’instant présent, il existe alors une traduction biologique. Nos neurones miroirs s’activent. Ce lien de personne à personne, de cerveau à cerveau qui forme un circuit à deux est appelé « résonance empathique »
Comme l’explique Rizzolatti, grâce aux neurones miroirs nous comprenons l’autre non par un raisonnement conceptuel, par la pensée, mais par le ressenti. Plus le système des neurones miroirs est actif, plus l’empathie est forte.
Dr Catherine Gueguen
Pour une enfance heureuse, pages 210-211
Le talent relationnel remarquable qui existe chez certains enfants repose pour une part sur les neurones miroirs. Sentir les intentions des autres et leur cause nous fournit des informations essentielles pour savoir comment agir avec eux.
Dr Catherine Gueguen
Pour une enfance heureuse, page 212
-L’autonomie
Quand toute une population attend les directives de la santé publique avant d’agir. Quand on s’adresse aux adultes de façon paternaliste et infantilisante. Quand on oblige les gens à ne pas faire usage de leur corps comme bon leur semble (désinfection des mains, port du masque, interdit de déplacement…), on brime l’autonomie. Que l’anti-autonomisme soit dirigé vers le parent ou vers l’enfant, le résultat est le même. Le sentiment d’avoir du pouvoir sur sa vie est atteint, tout comme l’élan vers l’autodétermination et l’autonomie. Que les mesures soient justifiées ou non (je laisse les experts se contredire sur le sujet), moi, ce qui me préoccupe, ce sont les effets à long terme sur nous tous et sur nos enfants particulièrement.
-La confiance en soi et aux capacités de son corps
On bombarde les enfants de mesures de confinement, de distanciation et d’hygiène. Des mesures extérieures à soi. Comme si nous avions finalement que très peu de force et de pouvoir. On ne parle que trop peu des mesures intérieures pour se protéger. On parle peu de l’importance de la confiance en soi et aux capacités de notre corps de se défendre. On parle peu des choix alimentaires favorables à la santé. On parle peu de l’importance du plein air, du mouvement, du sommeil et du bonheur. Ce sont tous des choix que nous pouvons faire pour avoir du pouvoir sur notre mieux-être. Pour garder confiance. Pour aller de l’avant.
-Le sens de la vie collective et le bonheur
Le plaisir de vivre ensemble vient en partie du caractère spontané, chaleureux et simple de l’interaction. Les masques limitent la qualité de l’échange mais aussi et surtout la distanciation imposée.
Les échanges et en premier lieu le toucher entraînent la sécrétion des molécules du bien-être. La tonalité des échanges, l’ambiance chaleureuse ou non dans laquelle ils se déroulent peuvent à elles seules permettre la sécrétion ou non de molécules du bien-être : ocytocine, endorphines et sérotonine. Il en est de même du toucher qui occupe une place centrale dans les échanges. Il est au coeur de l’intimité, des liens d’affection, de l’attachement entre les être humains. Le toucher est vital, indispensable. Dès que le toucher est agréable, rassurant, l’ocytocine et son cortège de molécules du bien-être sont sécrétés chez les deux personnes, aussi bien chez celui qui prend contact que chez celui qui est touché au sens physique et émotionnel du terme.
Dr Catherine Gueguen
Pour une enfance heureuse, pages 249-250
-La spontanéité, l’initiative et l’élan vital
Toutes les mesures de distanciation freinent l’élan spontané de l’enfant vers l’autre mais aussi vers le matériel qui ne peut plus être partagé et vers l’ailleurs qui n’est plus toujours possible d’explorer. Peu de temps nous a été nécessaire avant de nous demander continuellement si tel endroit public, tel parc, telle plage, telle région, tel service était encore accessible. Subitement, tout notre monde a changé. Ce qu’on faisait spontanément est devenu dépendant d’une approbation. Imaginons à quel point l’enfant peut être affecté par des mesures qui ne lui sont pas naturelles et qui, de surcroît, changent fréquemment.
Quand l’adulte freine l’enfant à chaque tentative pour entreprendre, il ralentit ce système de motivation. L’enfant perd alors toute envie de réaliser des expériences nouvelles. Soutenir l’élan vital de l’enfant est donc essentiel. Beaucoup d’adultes mènent une vie morose sans avoir l’énergie de la changer. Quand ils se retournent sur leur enfance, ils réalisent souvent que leur élan vital n’a pas été soutenu, cultivé quand ils étaient petits.
Dr Catherine Gueguen
Pour une enfance heureuse, page 257
-L’anxiété
Certains enfants ont besoin de plus de prévisibilité pour se sentir confiant dans la vie. Il est difficile en ce moment d’anticiper comment les choses se dérouleront, d’autant plus que la peur d’être contaminé est ambiante. Même si l’enfant lui-même ne s’en soucis pas nécessairement, autour de lui, les masques ne manquent pas de lui rappeler qu’un danger invisible guette.
-L’effet de la peur
Le monde a changé brusquement. Tout à coup, tout s’est arrêté, les gens se sont mis à faire la file sur une ligne, à ne pas pouvoir être accompagné des enfants, à porter le masque, à avoir peur des autres, de l’air, des surfaces, partout on entend que ça, on ne voit que ça. Même dans les endroits qu’on adorait, comme la librairie, des messages qui donnent l’impression d’être dans un mauvais film de propagande sont diffusés pour rappeler aux employés qu’ils doivent respecter les mesures d’hygiène et aux clients de se distancier. Monsieur Craquepoutte n’aurait pas mieux fait.
Ça fait peur. On se sent mal. Le monde ne semble tout à coup plus si accueillant.
L’enfant petit découvre le monde qui l’entoure. Beaucoup de choses qu’il ne connait pas l’effraient. (…) Cette peur devant ce qui est inconnu, étrange, incompréhensible, mystérieux est normale dans l’évolution de l’enfant.
Nous avons vu que l’amygdale, centre de la peur, est parfaitement mature dès la naissance. L’enfant petit n’a pas encore la possibilité de calmer son amygdale en se raisonnant et en prenant du recul. (…) De plus, les souvenirs de ces peurs vécues dans l’enfance vont rester fixés à vie dans son amygdale de façon inconsciente. Ces souvenirs de peur continuent à agir sur lui à l’âge adulte, et vont le perturber sur le plan psychique dans maintes circonstances.
Dr Catherine Gueguen
Pour une enfance heureuse, pages 273-274
Être conscient de conséquences possibles des mesures de distanciation et de protection nous mène déjà vers des mesures palliatives, que nous devrons appliquer avec beaucoup d’amour et de créativité pour nos enfants et pour nous-mêmes. Il faudra aussi dans certains cas faire des choix et se demander si, dans la réalité vécue par notre enfant, les mesures sanitaires imposées sont ou non, un moindre mal.
Pour aller plus loin :
*Prendre soin de son système immunitaire.
*Découvrir la parentalité positive.