Ça, c’est moi il y a 10 ans. J’attendais mon premier enfant. Je ne me doutais pas à ce moment qu’absolument rien ne se passerait comme je l’imaginais.
C’était l’époque où les mamans, inquiètes de ne pas trouver une garderie à temps pour la fin de leur congé de maternité pas encore commencé, inscrivaient sur une longue liste d’attente leur bébé à naître. Sitôt l’échographie de datation passée, sitôt les démarches pour trouver une garderie commençaient. Je ne suis pas de celles qui s’y prennent d’avance pour les choses de la vie, en général. J’ai donc remis à plus tard… Heureusement, même si on me cassait les oreilles avec la nécessité d’être sur une, ou mieux, des listes.
Ne pas inscrire mon enfant sur des listes fut mon premier pas inconscient vers la parentalité bienveillante. Je dis inconscient parce qu’à ce moment, je croyais que j’allais retourner au travail après mon congé parental.
Je croyais que je serais capable de laisser mon enfant.
Je croyais qu’il dormirait dans la chambre que nous avions aménagée pour lui.
Je croyais que mon enfant dormirait dans son lit.
Pire, je croyais qu’il dormirait tout court.
Je pensais que je saurais accoucher de manière instinctive.
Je pensais que j’avais déjà eu assez mal dans la vie alors l’accouchement ne serait pas pire.
Je pensais que j’allais retrouver mon corps d’avant ou que j’allais avoir envie de faire des efforts pour y arriver si jamais ça ne venait pas tout seul.
Je pensais que j’allais avoir du soutien.
Vous savez, du support ou du moins de l’inspiration de celles qui sont passées par là.
Je pensais que mon mari et moi serions le même couple qu’avant, mais avec un enfant.
Je pensais que je saurais faire parce que j’avais bien lu.
J’ai tellement lu.
Trop lu.
Dans ma tête, il y avait beaucoup trop d’informations.
Quoique c’est normal de lire beaucoup quand on attend son aîné.
C’est normal parce que nous n’avons plus de communauté rassurante pour nous épauler alors on se rassure soi-même comme on peut.
Donc j’ai beaucoup lu et je me suis retrouvée seule avec ma maternité.
Et rien de rien ne s’est passé comme je l’avais imaginé.
Je n’ai pas su accoucher de manière intuitive.
La douleur m’a submergée et j’ai vomi à chaque contraction.
Au diable les huiles essentielles, les peignes de réflexion, les points de pression.
J’ai accouché un jour férié et il manquait typiquement de personnel.
L’ambiance était totalement inhospitalière.
J’ai eu beaucoup plus de points de suture que j’aurais cru possibles.
J’ai eu mal des mois durant si bien que retrouver mon corps d’avant… ne m’a même pas effleurée l’esprit.
Dès que j’ai eu mon nouveau-né dans les bras, j’ai su que je ne voudrais jamais le confier à quelqu’un pour qui ça serait un travail de s’en occuper.
J’ai pleuré chaque jour à l’idée de le faire garder.
J’ai pleuré jusqu’à ce que je refuse le chemin le plus fréquenté.
J’ai pleuré jusqu’à ce que je m’autorise à accompagner quotidiennement mon enfant pendant toute son enfance.
Je me suis retrouvée confrontée à des modèles de parentalité qui étaient en discordance avec mes élans du cœur. Autour de moi, il n’y avait pas de modèles auxquels je pouvais me référer pleinement.
Je n’ai pas eu de soutien des femmes qui, traditionnellement, auraient joué un rôle de transmission du savoir maternel.
Je me suis plutôt sentie jugée d’allaiter à la demande.
Jugée de lui donner exclusivement mon lait, celui pour la qualité duquel je surveillais de près tout ce que j’avalais et utilisais comme produits dans notre environnement immédiat.
Jugée de faire du cododo.
Jugée d’avoir toujours mon enfant dans les bras.
Jugée de faire du portage jour et nuit.
Jugée de ne pas faire garder mon enfant.
Jugée de ne jamais le laisser pleurer.
Jugée de ne pas retourner au travail.
Jugée de ne pas écouter les recommandations pas toujours bienveillantes.
En fait, rien ne s’est passé comme je l’avais prévu avant d’avoir entre les bras l’enfant qui était à naître il y a 10 ans. Et c’est parfait comme ça parce que ma réalité est encore mieux que ce dont j’avais espéré.
Bah… L’accouchement a été difficile, je n’y peux rien changer, mais toute la bienveillance à contre-courant dont j’ai fait preuve, la vie me la rend au centuple.
Je ne regretterai jamais le temps et la qualité de ma présence auprès de mes enfants.
Je ne regretterai jamais de m’être écoutée, envers et contre tous.
Je ne regrette même pas mon corps d’avant tellement ça n’a plus d’importance aujourd’hui.
Toucher l’essentiel, la vie dans toute sa fragilité, ça remet les choses en perspective.
Ça nous change pour le mieux, qu’importent les standards ou la pression sociale.
Ce que je ferais autrement? Je lirais moins (quoique depuis quelques années, la littérature bienveillante abonde et c’est positif pour la suite du monde), je n’écouterais que moi et je ferais taire mes doutes. Je me concentrerais sur cette voix qui résonne au dedans de moi, qui me mène à mon enfant, qui me connecte à ses besoins. Cette voix, nous l’avons toutes. C’est elle qui nous fait changer de chemin pour aller vers un sentier moins fréquenté, celui qui correspond à ce que nous nous attendons d’une vie heureuse.
Aux mamans en devenir ainsi qu’aux nouvelles mamans, sachez que c’est possible que les choses ne se passent pas comme vous l’imaginiez. C’est possible que ce soit encore mieux au final parce que la maternité nous transforme dans ce que nous avons de plus profondément sensible et cette transformation nous amène à faire des choix jusque-là impensables, des choix qui nous rapprochent de notre nature véritable.