Presque toutes mes amies ont au moins un «enfant différent». Ça fait beaucoup je trouve. Pas que je remette en question leurs défis quotidiens ou leurs diagnostics, mais sont-ils si «différents» que ça au fond? Est-ce que ça se peut que nos perceptions aient besoin d’évoluer un peu?
Cette expression «enfant différent» est plutôt récente. Je ne me souviens pas l’avoir entendue au courant de mon enfance. Il me semble qu’on était à peu près tous semblables et l’appellation «enfants» nous incluait tous. Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on se retrouve avec deux groupes d’enfants?
Je me pose plusieurs questions au sujet de cette expression «enfant différent» qui abonde dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans les cris du coeur des parents.
1- L’ «enfant différent» est différent de qui ou de quoi?
Il est différent de celui qu’on s’était imaginé.
Il est différent du modèle idéal qu’on nous propose partout. Celui qui suit sa courbe de croissance, qui fait au bon moment ce qui est prévu dans les guides de progression élaborés par les «experts». Celui qui ne dérange pas les cadres imposés et qui n’est pas trop demandant, parce que, de nos jours, les adultes ont la charge mentale bien loadée.
Il est différent du modèle prisé par les «experts», celui qui vit parfaitement bien en théorie.
Est-ce que ça se peut qu’on ait des attentes trop précises et limitées envers ces jeunes humains arrivés dans ce monde complexe il y a à peine quelques mois, quelques années?
2- À partir de quel pourcentage d’«enfants différents » dans la population deviendront-ils «normaux »?
Je ne suis pas la seule à constater qu’il y a de plus en plus d’enfants confinés dans la catégorie «différents». Et là je lance une question qui est vraiment sans réponse actuellement, seul le temps nous dira si elle avait sa raison d’être. Est-ce que ça se peut que ces enfants qu’on croit «différents» soient la nouvelle normalité? Des enfants qui réagissent en fait normalement à une société éprouvante pour l’humain?
On est beaucoup à rêver de vivre en autosuffisance, isolés au fond d’un rang ou en forêt. Et bien, ce n’est pas pour rien! On s’est créé une société qui éprouve et épuise l’humain dans tous ses recoins. On en souffre, nos enfants en souffrent, la Terre en souffre, bien qu’elle nous survivra.
Alors quand la majorité des individus entrera dans le groupe des «différents», les différents le seront-ils encore?
3- Quel impact ce qualificatif a sur l’«enfant différent »?
Je me demande comment il se sent, l’enfant «différent». Je suis presque certaine qu’il ne gagne pas au change. Il a beau savoir qu’il porte son lot de défis pour s’intégrer au cadre qu’on lui impose mais il me semble qu’on pourrait dire ça autrement. On pourrait miser plus sur ses forces et ses défis pourraient tout autant devenir les nôtres, nos défis d’humaniser nos vies et de décoincer nos mentalités.
De mon côté, je vais continuer de m’abstenir d’utiliser l’expression «enfant différent», d’autant plus que ces enfants sont de plus en plus nombreux et qu’il n’y a pas qu’eux qui peinent à s’adapter à notre monde trop rapide, trop individualiste, trop technologique et déconnecté de l’essentiel.
Quand je vois autant de souffrances chez l’humain, autant d’adultes sous antidépresseurs, autant de ressources naturelles contaminées et autant d’espèces animales en péril ou carrément disparues, je trouve que ce qui est considéré différent est bien relatif au monde dans lequel on vit.
Je trouve ça normal d’être ultra ou hypo sensible. Je trouve ça normal de ne pas toujours comprendre les codes sociaux. Je trouve ça normal de ne pas toujours réagir comme c’est écrit sur la feuille de la pédopsychiatre. C’est exigeant et préoccupant pour les parents de devoir chercher à adapter son enfant à un monde fait pour ce qui est autrement, c’est certain. C’est difficile aussi de subir le jugement de ceux qui s’attendent à un éventail restreint d’actions et de réactions chez l’enfant. Dans pareils cas, le concept d’«enfant différent» sera utilisé pour solliciter l’indulgence. Plutôt que de lutter pour la différence, ne devrions-nous pas plutôt lutter contre le modèle unique?
Déjà, le concept de «besoins» ou de «défis particuliers» ne cantonne pas l’enfant dans une catégorie hors norme. Il réfère plutôt au besoin d’adaptation de l’enfant. Dès lors, ce n’est plus l’enfant qui est en dehors de la norme trop restreinte. On renvoie plutôt à la nécessité des deux parties, l’enfant et l’autre (famille, garderie, école, société) de chercher ensemble la voie de l’adaptation.
4- Est-ce que ça sert à quelqu’un cette recherche constante de catégorisations et de comportements jugés «atypiques »?
Comment faut-il qu’il soit l’enfant pour ne pas être «différent»? Il me semble que la ligne est parfois bien mince entre les deux statuts. Alors on scrute, on analyse, on va évaluer sur le terrain, à la maison, à la garderie, en classe. Suis-je la seule à trouver ça «heavy»?
Il me semble qu’on n’arrête pas de rechercher à catégoriser, on n’arrête pas de chercher ce qui pourrait être atypique. Je ne sais pas si on a tout faux en cherchant à diviser autant l’ensemble humain mais je suis certaine d’une chose, on ne créer pas de solidarité, ni de coopération en divisant.
Il faut dire que c’est lucratif tout ça. Les spécialistes, les thérapies, la recherche de soutien, les bouquins, les gadgets, la bonne presse. Le business du désespoir, c’est payant généralement. Est-ce que tout est relié? Je me le demande quand même un peu.
N’empêche que catégoriser les enfants, même en se cachant derrière un protocole d’intégration, éloigne un humain des humains. Et on n’aurait pas besoin d’intégrer si on n’avait pas rejeté.
5- Ne serais-ce pas plutôt notre regard sur l’enfance qui devrait être «différent»?
Est-ce que ça se peut qu’on soit vraiment dû pour évoluer?
Est-ce que ça se peut que notre vision de la vie, de l’humain et de l’enfance soit erronée ou dépassée?
Est-ce que ça se peut qu’on soit en train de se perdre dans des théories et des catégorisations basées sur des réactions à un monde qui n’est pas fait pour l’humain de toute façon?